Antisémitisme en Turquie
Antisémitisme en Turquie
En Turquie, la communauté juive craint une poussée d'antisémitisme
LE MONDE | 02.02.09 | 15h51 • Mis à jour le 02.02.09 | 15h51ISTANBUL CORRESPONDANCE
"A bas Israël ! Nous ne voulons pas de vous dans la République turque." L'inscription en lettres rouges barre le mur d'un immeuble, près de la grande synagogue Neve Shalom d'Istanbul. Un immense drapeau palestinien a été déployé par les habitants au-dessus de la rue, bouclée et protégée par un car de police. Depuis trois semaines, les autorités turques ont renforcé la sécurité autour du rabbinat et des fondations appartenant à la communauté juive, qui compte environ 25 000 personnes, principalement regroupées à Istanbul.
Tous confient leur inquiétude à mots couverts et disent craindre une vague d'antisémitisme depuis les opérations israéliennes à Gaza, en janvier. Lettres de menaces et insultes antisémites ont fleuri. Le consulat d'Israël à Istanbul, assiégé par les manifestants, a reçu des milliers de courriels. La synagogue d'Izmir et celle de Kadiköy, à Istanbul, ont été barbouillées de graffitis. "Dans la communauté, beaucoup songent maintenant à quitter la Turquie", affirme Kerem, jeune patron stambouliote. Mon père, né dans les années 1940, dit que c'est la pire période qu'il ait vécue. L'antisémitisme n'est pas nouveau, mais il devient plus populaire à cause d'Erdogan."
Le premier ministre et chef du parti islamo-conservateur est accusé d'avoir attisé une colère déjà vive au sein de la société turque, majoritairement musulmane. "Les manifestations contre la politique israélienne ont rapidement pris un ton antisémite et le premier ministre a encouragé tout cela", acquiesce Sami Kohen, éditorialiste au quotidien Milliyet. En effet, M. Erdogan, dans ses discours dénonçant les "crimes de guerre israéliens", n'a pas pris la peine de faire la différence entre "juifs" et "Israéliens".
Le président de la communauté juive, Silvio Ovadia, a réclamé une réponse ferme des autorités contre les dérapages antisémites. Le cas d'une association locale à Osmangazi (ouest) interdisant ses locaux aux "juifs et Arméniens" a particulièrement ému la communauté. Des appels au boycottage contre "les entreprises juives" ont également été lancés par des associations de consommateurs.
Pour marquer leur soutien à la population palestinienne, les municipalités ont organisé des campagnes de dons et chaque député a mis la main à la poche. La plupart des juifs d'Istanbul refusent d'y voir plus qu'une poussée de fièvre passagère. "C'est difficile de subir cette hostilité, surtout pour les jeunes, soupire Ayse, employée d'une institution juive d'Istanbul. Mon fils a un enfant de 4 ans et il se pose des questions sur son avenir." De même, le 13 janvier, le ministère de l'éducation a fait observer une minute de silence pour les enfants palestiniens dans les écoles et beaucoup de parents ont craint des représailles.
M. Erdogan a maladroitement tenté de souligner que les juifs turcs vivaient en paix depuis la fin du XVe siècle : "Nos ancêtres ottomans vous ont sauvés quand vous êtes partis d'Espagne." "Le passeport turc nous a aussi sauvés pendant la seconde guerre mondiale, rétorque Ayse. Mais après cinq cents ans de présence, beaucoup ne supportent plus ni l'amalgame fait avec Israël ni d'être considérés, à chaque crise, comme des citoyens de second rang au motif qu'ils sont non-musulmans."
Un avis exprimé à son tour par la psychologue Leyla Navaro dans le quotidien libéral Radikal. "On me tient pour responsable de la guerre au Moyen-Orient parce qu'il est écrit "judaïsme" dans la case religion de ma carte d'identité, écrit-elle dans une tribune libre. Suis-je toujours redevable, matériellement et moralement, du fait que le sultan ait accueilli mes ancêtres ? Suis-je toujours considérée comme une invitée sur ces terres où je suis née et où j'ai grandi ? (...) Aujourd'hui, je suis triste, préoccupée. J'ai peur."